mille ans
J'ai mille ans !
Sur la plage, les pieds nus dans les vagues, je marche. Le vent, chargé d'embruns, me fouette le visage.
Des senteurs d'algues mouillées me parlent d'improbables rivages, là-bas. Celtiques légendes, échos de harpe, envie de Merveilles.
Je marche. La grée de Penvins ... tout au bout. Peut-être, dans quelques siècles, bâtiront-ils une chapelle pour plaire à leur Dieu.
Symphonie lumineuse de brume grise, de vagues vertes. Le soir tombe sur la cabane du pêcheur.
Je frissonne de plaisir sous ma cape de laine...
Je reviendrai, je resterai.
j'ai mille ans !
Dans la vallée, le vent d'hiver, chargé de froidure, me glace.
Je marche. La montée est rude, jusqu'à Montségur. La Parole se mérite.
Bonshommes, courez la campagne, pressez-vous, le temps vous manquera.
Le vent va tourner au nord. Bruits de batailles, senteurs de chairs brûlées. Les hordes guerrières du roi de France, déferleront sur nos terres, à grand renfort d'Inquisition, pour plaire à leur Dieu. Mars approche,le printemps sera tragique.
Toi, mon Vaisseau Céleste, tiens bon !
Qu'adviendra-t-il de vous, ma Dame Parfaite, à jamais Consolée ? Eclairerez-vous encore le monde ?
Je tremble d'effroi sous ma cape de laine...
Je reviendrai, je resterai.
J'ai mille ans !
Le vent, sur le Larzac, me murmure le chant des loups.
Le souffle de l'été est brûlant. De senteurs d'herbes rases en remugles de bergerie, de chansons occitanes en légendes fabuleuses, la vie s'écoule sur le causse.
Les nouvelles ne sont pas bonnes. La guerre, la misère, la faim, les épidémies, la guerre encore ...
Les temps sont durs, le commandeur l'a bien compris, les murailles sont consolidées, les hommes en haut du rempart veillent.
Je marche, sereine, heureuse ... ruelles étroites bourdonnantes de vie, maisons de pierre, enfants de paysans rêvant de chevalerie, chiens qui jappent au vent.
Je monte jusqu'au château et son petit cimetière m'attire, stèles complices, réminiscence d'un autre temps !
Des gens de passage demandent asile, ribauds, marchands, pèlerins en quête d'un improbable salut, pour plaire à votre Dieu.
Qui que vous soyez, vous aurez le don de l'eau, mais la Couvertoirade n'ouvrira pas sa porte, la peste rôde.
A l'ombre fraîche de la tour, je frémis de bonheur sous ma cape de laine
je reviendrai, je resterai.
j'ai mille ans !
Le vent d'Est nous a conduits jusque là. Le voyage a été long.
L'automne approche. C'est beau, nous serons bien ici.
Je marche vers le lac, ridé par la brise.Tout est calme, tranquille. L'air sent le feu de bois, la résine et le sapin coupé. La forêt m'entoure.
Au rythme lent et immuable des saisons, de la terre et des bêtes, la vie s'écoulera, paisiblement.
Il faut une nouvelle cloche pour l'église, un membre du clan va participer au financement, pour plaire à son Dieu. Le petit cimetière connaîtra notre nom au fil du temps.
Vallée de Joux, terre d'asile, l'Abbaye m'accueille.
Je tressaille d'allégresse sous ma cape de laine.
je reviendrai, je resterai.
J'ai mille ans ...