danse macabre
La danse du ménestrel
Il relisait le message pour la troisième fois et n'en croyait toujours pas ses yeux :
- votre candidature a été retenue pour le rôle du ménestrel dans notre superproduction … -
S'ensuivaient, le lieu du tournage, la date, l'heure et tous les précieux conseils inhérents au bon déroulement du bal, car il s'agissait bien d'un bal, celui que l'on prédisait le plus beau de l'année.
Pour devenir cet heureux élu impatient de montrer ses talents, il avait travaillé dur et s'était plié de bonne grâce aux strictes exigences voulues pour la circonstance : savoir jouer d'un instrument de musique et plus précisément du luth, être un danseur émérite capable de mener le branle et d'entraîner joyeusement les foules, et maigrir de trente kilos. Lui qui n'était pas d'un naturel très gras, avait jugé cette dernière requête étonnante et quelque peu superflue et songeait que désormais, il ne lui resterait plus que la peau sur les os! Qu'importe ! il n'en danserait qu'avec plus de grâce et de légèreté !
Le grand jour était enfin arrivé. Le site était grandiose, une église quelle merveille, et tous les participants étaient déjà là, venus d'horizons les plus divers, papotant, se bousculant, étonnés d'avoir été choisis pour ce grand événement : des prélats, un pape, une moniale bénédictine, un roi, un empereur, un peu plus loin, un chevalier en armes, un abbé mitré, un paysan et un enfant.
Mais Dieu que ces danseurs étaient donc maigres - une procession de squelettes - se disait le musicien en déambulant dans la nef, saluant les uns et les autres.
Orchestrée par un ménestrel au sommet de son art, le bal des transis avait commencé.
Bourgeois, gens du peuple et puissants, mimiques facétieuses et pied léger, avaient dansé au son du luth. L'excessive maigreur des personnages, la lueur des cierges, la solennité du lieu, l'extrême pâleur des visages rendaient la farandole irréelle et fantomatique.
Et puis, en un instant, la Mort, grande ordonnatrice de la cérémonie, avait, d'un coup de faux aussi soudain que tranchant stoppé net cette basse danse de morts vivants.
Elle avait alors pris palette, couleurs et pinceaux et immortalisé la scène en un tableau tragique.
Depuis ce jour de l'an mil quatre cent cinquante, on peut admirer " la danse macabre " figée à tout jamais sur les murs de l'abbatiale de la Chaise-Dieu.
- N'ayez crainte, humbles passants, la dernière danse ici-bas vous ouvre les portes de l'au-delà et vous enseigne que la mort n'épargne ni petit ni grand. -
Ce fut une très belle danse, foi de ménestrel !
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Panneaux de " la danse macabre "
abbatiale de la Chaise-Dieu (43)
les puissants
les bourgeois
le peuple
P.S. : écrit pour Impromptus littéraires consigne : danse d'une vie
photos google.
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